Je devais avouer que le froid n'était pas ce que je préférais. A force d'errer sans but précis, du moins pour l'instant, j'en étais venue à me retrouver près du territoire Xuhecors, le long du fleuve Nincia. J'avais passé quelques jours à jouer à cache-cache avec les sentinelles rouges. Pas normal. Les Xuhecors avaient l'habitude de rester dans leurs tunnels...
Mais les Aluis et les Fehorts ayant capturé coup sur coup une Tour Gardienne, ils se disaient peut-être qu'il était temps de se signaler. Et l'endroit le plus facile, et le plus logique à conquérir, pour eux, c'était le Fleuve Nincia.
A force de m'éloigner plus au Nord, j'avais du sortir une cape doublée de fourrure et des mitaines en cuir brun. J'avais rabattu mon capuchon sur ma tête pour avoir d'avantage chaud. Soudain, une masse sombre se profila devant moi. Je reconnus sans peine la Forêt du Nord.
A dire vrai, je ne pensais pas être si loin... J'étais en territoire Fehort depuis quand? Aucune idée. Mais à dire vrai, cela n'avait pas beaucoup d'importance. Je savais que seule une petite garnison du peuple de la Terre résidait ici, pour protéger la Tour. Ils avaient fait de la Forêt de glace leur terrain de jeux, en la truffant de pièges de toute sorte. Si bien que les Xuhecors, dont le domaine principale n'était qu'à une semaine de distance, n'avaient pu récupérer cette partie de la parcelle Runbe.
Je m'arrêtais à l'orée de la forêt.
Ira ou ira pas?
Tehar à mes côtés me suivait tranquillement. Il m'avait proposée de me porter mais marcher me permettait de me réchauffer. Je lui avais attachée une couverture autour de l'encolure, recouvrant ainsi son poitrail et son dos. Il n'avait jamais vue de la neige, ni ressenti le froid, et avait vite apprécié cette épaisseur supplémentaire.

*Je n'aime pas cet endroit*

Je restais silencieuse, contemplant les premiers arbres recouverts de glace.

*J'y aies des souvenirs.*

*C'est bien les souvenirs.*

J'avais le choix entre m'éloigner et m'éviter des problèmes avec les Fehorts, ou... n'en faire qu'à ma tête.
N'étant pas particulièrement raisonnable, je choisis évidemment la seconde option, et me remis en marche. Tehar me suivit en secouant sa crinière d'un geste désapprobateur.

Les arbres semblaient tendre leurs bras tordus vers nous. Des cristaux de glace les habillaient. Ils ressemblaient à des génies du givre. Des génies dont on ne savait trop si ils étaient bienveillants ou menaçants.

Des bruits longs, sourds, intangibles. Ce sont certainement les pas laconiques de quelques gardes qui passent par là. Peu importe la race, je ne la reconnais pas. Cachée derrière des buissons, invisible aux yeux des hommes, perceptible au regard de la forêt, mon lourd manteau de brume repose sur mes épaules. Pour mieux survivre, vivons cachés.
Voilà bien des années que je ne me suis pas aventurée dans la Forêt du Nord. La cause ? Vous pouvez cette question histoire de dire quelque chose d'inutile ou vous êtes réellement stupide ? Les deux je suppose. La cause c'est simple. Le Nord signifie en haut. Et le haut signifie le froid. Oh ce serait un petit froid de pacotille, je m'insurgerais pas ainsi, mais ce n'est pas un petit froid de pacotille. Un froid qui engourdit l'esprit, qui lacèrent impitoyablement chacun de vos muscles. Ce froid qui vous fait sauter et danser sur place, seul et solitaire (hahaha) comme un parfait idiot. Bref, c'est ce froid-ci dont je parle. Un froid vicieux, qui me rappelle désagréablement moi-même. J'ai toujours détesté l'adoration, et s'il pouvait éviter de me vouer un culte en imitant mon caractère ça m'arrangerait grandement.

Les pas s'éloignent, bien heureusement, tandis que ma superbe personne s'extirpe tout de même difficilement des buissons où elle s'est caché. Boarf... je sais même plus ce que quoi est à qui et je m'en contrefiche royalement. Au final, ils sont tous pareil, alors qu'ils contrôlent le feu, l'eau, la terre, l'air ou les illusions n'est qu'un détail superflu qui ne mérite aucunement mon attention. Je suis partie faire la découverte d'un monde qui, au final, est semblable partout ailleurs, en dehors de la diversification du paysage, bien évidemment. Mais il n'y a pas grand chose à retenir de ce genre de guerres absurdes, si ce n'est qu'elle est la preuve concrète que les imbéciles ont bien le contrôle du monde.
Enfin bref, je traîne des pieds, m'éloignant de leur réalité, jouant à regarder mes pas s'enfoncer dans la neige. Les temps chauds du sud me manquent déjà. Je m'enfonce de plus en plus dans les profondeurs de la forêt, comportement purement ridicule lorsqu'on sait les dangers qu'elle recèle. Mais comme nous autres, Parias, sommes en danger à peu près partout, il n'y a pas grande différence entre ici et là-bas. Caché sous la mon manteau, Fly extirpe sa petite tête de dragon miniature. Petit dragon de feu, aussi désobéissant que sa maîtresse. Il fait ma fierté. Mais là n'est pas la question. Du moins elle ne l'est plus et si ce que je dis n'a aucun sens je vous invite à changer vos lunettes.

D'ailleurs, il en est même presque de moi parce que je mets un moment avant de prendre conscience de qui se tient en face de moi. Et bien c'est simple, c'est un visage très bien connu que j'ai juste envie de snober immédiatement. Mais non... enfin si. Bref ! Lorsque vous aurez trouvé quelqu'un qui vous comprend peut être mieux que vous-même vous saurez pourquoi on veut fuir à toutes jambes. En revanche, je reconnais que ça doit faire un bon moment que je l'ai pas vue alors... Laissant de côté mes appréhensions qui ne se gênent cependant pas pour me suivre, je m'approche doucement vers elle. C'est fou comme le hasard est bien fait. Je ne l'ai pas vu depuis que je suis partie et, honnêtement, elle m'a manqué. Flûte.

Les arbres brillants de givre s'élevaient tout autour de nous. L'avantage, c'était que l'absence de feuillages permettait à quelques rayons glaciales du soleil de s'épanouir en tâches lumineuses sur le sol couvert de neige. Peu à peu, la forêt gagne sur moi, le soleil se faisant plus rare.
Je me fige brusquement, croyant avoir entendue le bruit d'une branche qui craque. Ma main a bondi par réflexe sur la garde de mon épée dans mon dos. Je grimace aussitôt de douleur avant de changer de main. Une main calcinée est trompeuse. Quand elle ne fait plus mal, on croit que c'est bon, mais dès qu'on la bouge, le feu se rapelle illico presto à notre mauvais souvenir.
Tranquillement, une personne fait son apparition. Elle ne semble pas m'avoir remarquée. Je reste immobile. Cette démarche me semble familière. En se rapprochant, je découvre peu à peu son visage, et là, je n'ai plus besoin de jouer aux devinettes. Pam.
Elle s'arrête. Elle semble presque surprise de se trouver ici. Puis elle remarque ma présence. Je cache un demi-sourire sarcastique. Le hasard se mêle bien souvent de ce qui ne le regarde pas. Et c'est souvent quand on a rien demandé qu'il surgit comme un diable de sa boîte.

*Il ne manque que les loups pour achever la scène.*

Je ne savais pas trop si je devais me sentir heureuse de la voir. Mais, à bien y réfléchir, dans ce monde, il valait mieux que ce soit elle plutôt que n'importe qui d'autre. Au moins, je n'avais pas à craindre de me faire tuer pour le moindre mot.
Ah oui, les loups. La dernière fois, ils avaient eut envie de tester le menu "paria", à la place, on leur avait offert un aller-simple pour l'autre monde.
Et là, à nouveau, elle et moi, au même endroit. Mais dans des circonstances différentes. C'est peut-être ça qui ferait la différence. A moins que non. Comment savoir? Et est-ce que c'est vraiment important?
Elle se décide à s'approcher. J'avais choisi de la laisser décider si cette rencontre aurait lieu ou pas.
Elle avait fait le premier pas, devais-je dire la première phrase?

"Alors? Cette découverte d'Azeviel?"

J'avais délibérément passé toutes les platitudes "bonjour, ça va?" etc. Visiblement, elle n'était ni blessée, ni malade. et elle aimait autant les débuts de conversations niais que moi. Donc pas la peine de prendre des gants et de jouer les faux-semblants.
Je lâchais la garde de mon épée. La douleur de mon autre main décroissait lentement.

*Il ne manque que les loups pour achever la scène.*

-C'est toi qu'on devrait achever, je rétorque en guise de bonjour.

Ah oui je me souviens clairement de cet épisode. Une petite course enfiévrée dans les bois hivernales, puis une bande de gros chiens complètement idiots et affamés qui avaient cru pouvoir s'en prendre à deux petites parias sans défense. Résultat, les parias sont toujours là, et les loups nous ont servi de repas. Le côté positif c'est qu'au moins ils n'avaient plus faim. C'est toujours ça de gagné. En tout cas, une belle petite bagarre dans laquelle je me suis bien défoulée. Mes petits papillons d'amour se sont surpassés. Trop mimi franchement. A chaque fois je craque. Ils sont tellement adorables que je pourrais choisir de ne jamais les éteindre. Mais bon, les retrouvailles sont toujours plus plaisantes lorsque la séparation a été longue. Et ici, la séparation a été longue. Quant aux retrouvailles elles sont égales à elle-même. Un conflit psychologique entre deux têtes brûlées qui ne feront sans doute aucun effort pour laisser transparaître leurs véritables émotions. Voilà ici la preuve flagrante que les orgueilleux sont certainement les personnes les plus géniales du monde. Enfin je ne suis pas véritablement concernée puisque je ne suis pas à proprement parlé, orgueilleuse.

"Alors? Cette découverte d'Azeviel?"

-Aussi plate, ennuyante et pathétique que je l'avais crue. Abrutissante surtout. Je suis toujours sidérée par l'arriération humaine, c'est pitoyable.

Je soupire faussement désolée. Oui parce qu'en réalité je ne le suis pas du tout. En faite je m'en contrefiche royalement. J'ai la chance de vivre dans un monde peuplé d'imbéciles qu'il m'est assez facile d'entourlouper. Si je devais vivre au milieu de guerriers intelligents cela ferait belle lurette que je ne serais plus ici. De la chance dans le malheur, mais par les cinq crétins de la planète, quelle chance ! La guerre tout les jours pour survivre, une bataille contre soi-même et contre les autres. C'est vraiment épuisante.

-Affligeant, je poursuis plus pour moi-même cette fois ci.

Un autre temps d'arrêt durant lequel je médite un instant sur la température actuelle par rapport au décors et à l'hémisphère. En gros quelque chose d'incroyablement palpitant qui en aurait endormi plus d'un.

-Et toi alors ? Belles courses en perspective ?